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Acquisition de la prescription et actes interruptifs de prescription : Quelles règles ? Quelles conditions ?
Droit Pénal
27 janvier 2016
LA CHAMBRE CRIMINELLE DE LA COUR DE CASSATION VIENT PRÉCISER LES ACTES INTERROMPANT LA PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE ET LES MANIÈRES DE PRONONCER CELLE-CI
Le droit pénal prévoit un principe de prescription de l’action publique pour la quasi-totalité des infractions pénales, excepté pour les crimes contre l’humanité rendus imprescriptible par la loi du 26 décembre 1964.
Ce principe est fondé sur plusieurs constats et notamment le fait que le trouble à l’ordre public que provoquerait l’ouverture d’une enquête et la tenue d’un procès soit supérieur soit au trouble causé par l’infraction, ou le fait que la gravité relative de certains faits, la nécessité de garantir une certaine sécurité juridique et un droit à l’oubli aux justiciables justifient qu’en cas d’inaction la prescription puisse être acquise, passé un certain temps.
En droit français, la prescription de l’action publique est ainsi en principe de dix ans pour les crimes, de trois ans pour les délits, et d’un an pour les contraventions, ce à compter de la date de commission des faits.
Toutefois, un mécanisme (l’interruption) permet d’effacer le temps qui s’est écoulé en faisant repartir de zéro ces délais. Au terme de l’article 7 du Code de procédure pénale, est interruptif de prescription tout acte « d’instruction ou de poursuite ».
Toutefois, la Cour de cassation n’ayant pas donné de définition précise de chacun des termes, c’est à la casuistique qu’il est revenu de déterminer les actes qui ont pour « but de constater une infraction, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs ».
CASS, CRIM. 23 JUIN 2015, N°14-83836
Par un arrêt rendu le 23 juin 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation apporte des précisions sur les conditions qu’un Tribunal doit respecter pour prononcer d’office (sans qu’une partie l’ait sollicité) la prescription de l’action publique.
Selon les termes de cet arrêt, il résulte de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article préliminaire du Code de procédure pénale que les juges doivent respecter le principe du contradictoire et permettre aux parties de discuter de la prescription de l’action publique avant de prononcer celle-ci d’office.
En l’espèce, il s’agissait de poursuites engagées pour injures publiques et la Cour d’appel a, d’office, et sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, constaté la prescription de l’action publique puis déclaré irrecevables les constitutions des cinq parties civiles.
Réitérant la solution de la Chambre criminelle du 8 janvier 2013, les juges de la Cour de cassation rappellent ainsi le principe salvateur de respect du contradictoire. La question du départ du délai de prescription est alors essentielle.
Il faut en effet savoir que si certaines infractions dites dissimulées ou occultes bénéficient d’un report du point de départ au jour de leur découverte, l’état de minorité de la victime permet également un report du point de départ de la prescription jusqu’à la majorité de celle-ci.
En outre, et c’est sans doute ce qui donne lieu au plus grand nombre de discussions, la liste des actes interruptifs de prescription n’est ni exhaustive ni figée, ainsi que l’illustre de récents arrêts rendus par la Chambre criminelle.
Il apparaît donc indispensable que la question de la prescription soit systématiquement discutée entre les parties au cours de l’audience avant qu’une juridiction puisse constater d’office l’acquisition de celle-ci.
CASS, CRIM. 3 NOVEMBRE. 2015, N°14-80844
Dans cette espèce, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser qu’un procès-verbal de synthèse, transmis par les enquêteurs au Procureur de la République à l’issue d’une enquête, ne saurait constituer un acte interruptif du délai de prescription de l’action publique.
Le 20 juillet 2010, une secrétaire de mairie, dont la plainte avait été classée sans suite, fait citer le maire devant le tribunal pour des faits de harcèlement moral commis depuis le 21 décembre 2005.
Ce dernier soutenait que la prescription de l’action publique était acquise, les faits datant de près de cinq années alors que le délai de prescription en matière délictuelle est de trois ans.
Si la juridiction de première instance avait écarté cet argument tout en relaxant le prévenu, la Cour d’appel de Paris l’avait écartée pour mieux le condamner du chef de délit de harcèlement moral.
La Cour d’appel relevait que la réception du procès-verbal de synthèse consécutif à l’enquête, le 19 juin 2008, interrompait le délai de prescription. Ladite interruption permettait alors une remise à zéro du délai de prescription et, par voie de conséquence, rendait la citation du 20 juillet 2010 recevable.
La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement et casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « la prescription de l’action publique n’est pas interrompue par la transmission d’un rapport de synthèse d’enquête au procureur de la République ». Il ne peut en effet être valablement soutenu qu’un simple procès-verbal de synthèse, qui ne fait que reprendre et résumer les actes d’enquête réalisés antérieurement serait à lui seul un acte « d’instruction » autonome.
La décision de la Cour de cassation a toutefois de quoi étonner au regard des précédentes solutions par lesquelles elle avait considéré que constituait un « acte d’instruction ou de poursuite » un simple « soit-transmis », acte de nature administrative permettant à une autorité de transmettre une information ou des documents à une autre.
Cette décision est appréciable en ce qu’elle vient freiner l’élargissement progressif des « actes d’instruction ou de poursuite » de nature à interrompre la prescription auquel se livrait la Cour de cassation ces dernières années.
CASS, CRIM. 12 NOVEMBRE 2015, N°14-82765
L’arrêt rendu le 12 décembre 2015 est particulièrement intéressant car il a amené la Cour de cassation à s’interroger sur la possibilité ou non d’appliquer, dans les procédures judiciaires, des mécanismes propres au droit administratif.
En l’espèce, les prévenus faisaient valoir qu’aucune diligence n’avait été effectuée pendant plus de trois ans, en dehors d’une ordonnance de soit-communiqué (dont ils contestaient la régularité). Or, un acte irrégulier n’interrompant pas la prescription, ils soutenaient que celle-ci leur était donc acquise.
Ne pouvant plus demander la nullité de cette ordonnance (étant hors délais), les prévenus soulevèrent devant la juridiction de jugement son «inexistence».
Ce faisant, les prévenus ont tenté d’utiliser un mécanisme du droit administratif, qui permet d’agir « par voie d’exception » (exception de nullité d’un acte administratif) pour bénéficier des conséquences de la nullité d’un acte alors même qu’il n’est plus possible d’en demander directement la nullité, c’est-à-dire « par voie d’action ».
Bien que l’action en nullité ne puisse plus être exercée, l’acte pourra alors être privé d’effet et sera virtuellement considéré comme « inexistant ».
La Cour d’appel rejetait l’exception de nullité soulevée par les prévenus, au motif que l’existence de l’ordonnance était attestée par la présence du tampon du greffier.
La Cour d’appel ne rejetait ainsi pas en soi l’applicabilité des concepts du droit administratif, mais contestait simplement qu’en l’espèce l’acte puisse être considéré comme inexistant.
La Chambre criminelle rejette le pourvoi des prévenus tout en rejetant également l’argumentation de la Cour d’appel.
Elle retient en effet que « les parties sont irrecevables à soulever des exceptions tirées de la nullité de la procédure antérieure », sans répondre sur la régularité de l’ordonnance de soit-communiqué.
Ce faisant, la Chambre criminelle rejette l’utilisation de la théorie de l’inexistence à fin de constat de prescription de l’action publique, l’annulation de l’acte selon les formes et dans les délais prévus par la loi constituant, en la matière, un préalable indispensable.